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10 juillet 2006 1 10 /07 /juillet /2006 12:52

Mpala-katy

Ou les bienfaits de la colonisation dans le Sud de Madagascar

 

Il s’agit d’une histoire vraie, qui s’est déroulée en juin 2006, dans la région Androy à l’extrême Sud de Madagascar, sur le flanc Est de ce que nous appelons ici –regardez une carte vous comprendrez- les jolies fesses de la Grande Ile. Les faits se déroulent entre la ville d’Ambovombe, la Commune rurale de Sampona et le chef lieu de District Amboasary Sud.

Un lundi matin comme beaucoup d’autres, les activités de la base Objectif Sud à Ambovombe reprennent pour une semaine de labeur. Les moteurs des motos chauffent en pétaradant, les voitures sont conduites vers la sortie et chacun d’entre nous vaque à ses occupations.

 

Un paysan de Sampona vient rencontrer les équipes du projet agricole et leur raconte les nouvelles de son village. Son père, paysan pilote qui collabore depuis longtemps avec les vazaha –les blancs- vient d’être arrêté par la Gendarmerie d’Amboasary. Tout le monde présent l’interroge : « mais, pourquoi ? ». Le motif expliqué est qu’un enfant a été enlevé au village  et puisque le vieil homme collabore avec les vazaha, c’est lui qui a enlevé l’enfant pour permettre aux blancs de lui arracher le cœur. Stupéfaction ! Que de vieux hommes et femmes d’une brousse très reculée croient peut-être encore à de telles légendes, d’accord, mais le procureur et le Gendarmerie, cela paraît incompréhensible.

 

Nous nous réunissons pour débattre de la mesure à prendre : faut-il envoyer un représentant discuter avec les gendarmes ? faut-il que le directeur du projet y aille en personne ? ne faut-il rien faire et attendre d’en savoir plus ? Nous ne savons pas trop sur quel pied danser. Finalement, la décision est prise d’envoyer un membre de l’équipe de suivi-évaluation, spécialiste des relations sociales, voir ce qui s’est passé et où en est cette histoire maintenant. Et voilà notre fier collaborateur Jérémiah partit sur sa moto pour élucider le mystère du Mpala-katy –littéralement le preneur de foie.

 

Le journée suit son train habituel, sans que l’on ne manque de s’interroger : « tu crois que ça va comment pour le vieux à Sampona ? Est-il toujours en prison ? ». Un sentiment étrange mêlé de crainte, de curiosité et de surprise nous tient en haleine jusqu’au retour de Jérémiah.

 

Ce dernier regagne la base en fin d’après-midi. Il a pu rencontrer plusieurs protagonistes de l’histoire, par recoupements d’informations, il a pu comprendre ce qui se passe dans le petit village de Sampona.

 

Un après-midi alors que deux élèves regagnaient leur domicile, ils décidèrent de s’arrêter jouer quelques instants à proximité du village de l’un des deux. Ils s’amusèrent tant que la tombée du jour les surpris. Le village du second étant éloigné de plusieurs kilomètres et craignant de circuler la nuit, les gamins décidèrent de dormir ensemble dans la case du père du premier enfant. Le père de l’enfant étant d’accord pour accueillir le compagnon de son fils, les enfants s’installèrent et rapidement sombrèrent dans le sommeil du juste.

 

Mais, dans le village du second enfant, les parents s’inquiétaient et le père, militaire au camp voisin, décida de partir avec quelques hommes en patrouille à la recherche de son fils. La troupe s’élança dans l’obscurité d’une nuit sans lune armée de kalachnikov. On ne sait jamais ce qui peut arriver dans ces brousses sauvages…

 

Ils traversèrent plusieurs villages, frappant aux portes et interrogeant les habitants. Pendant plusieurs heures, ils n’eurent pas de nouvelles de l’enfant. Le père commençait à sentir la fureur monter en lui. Alors quand enfin dans un hameau on lui annonça que son fils était dans la petite case à la sortie du village, c’est avec colère qu’il frappe à la porte. Le vieux pris de peur en voyant tous ces militaires, armés et furieux, répondit que : « Non, non, votre fils n’est pas là. ». Alors, le militaire pénétra de force dans la case et découvrit son fils endormi au côté de son compagnon.

 

Furieux, le militaire emmena le père au camp et l’enferma dans une cellule pour la nuit. Le père, effrayé et complètement déboussolé, promis dès le lendemain de payer un zébu pour laver sa faute. Ainsi, le lendemain matin un kabary – jugement devant un conseil des sages donnant lieu à de longs discours - fut organisé et effectivement, le vieil homme dut payer un zébu envers le père de l’enfant découvert chez lui. Mais, en fait de sage, ne siégeait que le colonel du camp militaire…

 

Le père de l’enfant retrouvé s’estima satisfait de cette sanction envers le vieux et puisque son fils était sain et sauf sans avoir subi le moindre traumatisme décida de ne pas porter plainte contre le vieux.

 

Le colonel, lui, en décida autrement, il se renseigna et découvrit que le vieux est un ami de ce fameux paysan qui collabore tant avec les vazaha. Ce n’est pas chose normale que cela d’après lui et il y a sûrement un lien avec l’enlèvement de l’enfant. Allons ! débusquons cet allié des mpala-katy –littérallement preneur de foie- et faisons lui avouer ses crimes. Le colonel part donc à la pêche aux renseignements : « oui, oui effectivement cet homme est souvent avec des blancs, il travaille beaucoup avec eux, mais c’est pour la culture, le sorgho et le maïs… ».

 

Le militaire dépêche alors une missive au procureur pour lui permettre d’appréhender un dangereux personnage à la solde des blancs qui enlève des enfants pour leur vendre. Le paysan est mis en prison le jour même à la Gendarmerie d’Amboasary. Personne au village ne réagit, le maire n’est pas mis au courant, seul le président du quartier réagit et va avertir l’ancien maire qui est resté très influent. Pourtant, il ne parvient pas à faire sortir l’homme de prison. « Mais que ce passe t-il, enfin ? » insiste t-il. D’après les gendarmes, il serait possible que la plainte soit retirée si un kabary est organisé pour laver les fautes du paysan.

 

Personne n’en croit ses oreilles. Cet homme n’a rien fait d’autre que de vouloir cultiver mieux sa terre ! Finalement les gendarmes le laisseront partir mais n’en stoppent pas pour autant leur poursuite contre lui. A l’heure où j’écris ces lignes, nous ne connaissons pas la suite de cette histoire.

 

Le fin mot de l’histoire est que les militaires tout comme les gendarmes ont trouvé là un bon moyen – du moins leur semblait-il – pour soutirer des zébus pour un motif d’accusation grave selon le pouvoir traditionnel, mais un motif ancestral qui n’a plus cours dans ces contrées depuis des siècles ! Alors, je ne sais pas pour vous, mais moi il me saute aux yeux, qu’en termes de bienfaits de la colonisation nous trouvons dans cette anecdote au moins deux beaux exemples.

 

Le premier est cette légende qui colle à la peau blanche à Madagascar : les blancs sont des preneurs de cœurs et de foie, des tueurs d’enfants. Si un siècle de colonisation et 40 ans de néo-colonisation n’ont pas réussi à effacer cela, c’est qu’il y a tout de même un sérieux problème relationnel entre nos deux peuples. Encore une réussite pour le dialogue entre les peuples …

 

Le second exemple est cette frayeur de l’armée dans les populations rurales. L’armée et la gendarmerie fonctionnent à Madagascar sur le même schéma qu’en France – qui les soutient fortement d’ailleurs – et sont vêtus pareillement. L’armée est considérée à Madagascar comme l’un des héritages de la période coloniale et les militaires se servent de cette image pour asseoir sur un peuple démuni et effrayé par l’uniforme, une autorité dévastatrice et pillarde.

 

Je pourrais encore explorer plus en avant les évènements minimes mais ô combien porteurs d’images fortes, je décide de m’arrêter là. Simplement, moi qui vis dans une ancienne colonie française, je veux vous dire que les bienfaits de la colonisation, je n’en vois pas…


Salut !                                                                                                

Bib

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commentaires

C
Merki c'est très gentil! C'est un bon cadeau que tu me fais la en me disant ça ;-) bisous
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F
Anytime, ma jolie...
:
Désolée, j'ai cherché Bib et l'ai retrouvé !Je me souviens d'avoir lu cet article et même d'avoir posté !Bisous à tous les deux.Danet.
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F
la morale de l'histoire : quand on cherche bib, on le trouve...
Ã
Malheureusement de la colonisation que de mauvaises intentions... Que peut -il en rester là bas ou ailleurs? Des miettes de préjugés et de faits imposés. Je peste l'autorité militaire.
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F
Ne ce serait-ce pas l'autorité en général que tu pestes? Moi c'est l'individualisme que j'abhorre. Celui qui fait qu'on n'écoute pas son prochain... Et qu'on impose des choses comme si on faisait des cadeaux...
C
je suis plutôt optimiste pour ma vie en général mais en ce qui concerne le dialogue entre les peuples et les croyances "superstitieuses" alors là, de mon vivant ni de celui de ma fille, je ne crois pas qu'on verra de l'amélioration...
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F
J'espère tout de même... il ne tient qu'à nous.
S
bojnjour Ha tu sais les gendramesilsy en as de plus en plusJete souhaite unGros bisousSyvie
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F
Et de moins en moins de voleurs? :D

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